Sérum XIII

Je m’appelle Kaël, mais on m’appelle Kaos, parce que j’ai le sourire trop large et les mains trop rapides. Quand j’étais petit, on disait que j’avais le regard creux comme un trou noir, et un cœur à la consistance d’une lame rouillée. Je crois que j’ai toujours été un peu fêlé, mais depuis Sérum XIII, je suis devenu une cathédrale de fissures.

Le monde dans lequel j’erre n’est plus vraiment un monde. C’est une zone. Un béton sale, des néons bleus, des autoroutes suspendues qui ne mènent nulle part. On y naît dans le bitume et on y meurt dans les pixels. Les adultes se shootent à l’indifférence, les enfants à l’absence. Et nous, les Vagues, on plane entre les deux, sans attaches, sans amour, sans fin.

Sérum XIII, c’est pas une drogue. C’est une reprogrammation de l’instinct. Une injection de lumière noire. Tu ne sens plus la peur. Tu sens la soif. Une soif animale, métallique, irraisonnée. Elle monte depuis la moelle jusqu’à l’œil. Et là, tu vois : tout le monde est ton ennemi, tout est excès, tout est possible.

Avec mes trois frères — Dox, Lame et Clio — on est descendus dans la ville comme un crachat lancé vers le ciel. On ne cherchait pas l’argent. On cherchait le vertige.


Jour 1 : Baptême

On a commencé petit. Une pharmacie. On est entrés sans masque. Dox a balancé le pharmacien contre le mur, Lame a planté un flacon dans l’œil d’un type en béquille. Clio a ri, un rire haut perché, comme une sirène. Moi, j’ai pris une seringue, je l’ai remplie de morphine et je me suis injecté dans le cou. Juste pour la symétrie.

On est sortis, les poches pleines, le sang chaud, la ville trop lente pour nous suivre. Personne n’a couru. Personne n’a hurlé. Le monde était déjà mort, on ne faisait que l’écorcher pour le réveiller.


Jour 3 : Croisade

On est passés dans un bar chic. Les gens y buvaient des cocktails au lithium, habillés en hologrammes de soie. Lame a hurlé une chanson en russe, Clio s’est mise à danser nue sur le comptoir. Dox a commencé à briser les verres un par un, méthodiquement. Moi, j’ai demandé à la serveuse si elle croyait à Dieu. Elle m’a dit “non” juste avant que je lui plante une paille dans la gorge.

Le sang était chaud, sucré, plein d’adrénaline. Sérum XIII me poussait à chercher la frontière entre la beauté et la monstruosité, et je ne la trouvais jamais.


Jour 7 : Jugement

On a croisé un groupe de flics. Pas les vrais. Les milices privées, les “Pères”. Ils portaient des armures blanches, ils parlaient comme des robots. Dox a dégoupillé une seringue et l’a lancée dans l’œil du plus proche. Clio a écrasé un casque avec un talon aiguille. J’ai étranglé le dernier avec le câble d’un chargeur. Pendant qu’il mourait, je lui ai chuchoté : “Je suis ton dernier rêve.”

Quand c’était fini, Lame a hurlé “ON EST DES ARTISTES”, les bras couverts de sang et de fragments de dents. Il pleuvait des étincelles sur les cadavres.


Jour 13 : Chute

Sérum XIII a changé. Il a évolué dans nos veines. On ne dormait plus. On ne parlait plus. On entendait des voix qui n’étaient pas les nôtres. Clio a crevé les yeux d’un bébé qui la regardait trop longtemps. Lame a planté son propre père sans raison. Dox a disparu, il est devenu une silhouette qu’on voit parfois dans les tunnels, nu, recouvert d’inscriptions. Moi, j’ai rêvé de moi-même en train de me tuer. Et c’était doux.


Jour 17 : Silence

Je suis seul. Mon corps tremble. Mon âme est fendue en douze parties qui ne se parlent plus. J’ai tué plus de gens que je ne peux en compter, mais il y a une fille que j’ai laissée vivre. Elle m’a regardé avec pitié. C’est pire que la haine. Elle m’a dit :

“Tu ne cherches pas à fuir le monde. Tu cherches à ce qu’il te supplie d’exister.”

J’ai ri. Et j’ai pleuré. Le premier vrai sanglot depuis l’enfance.


Jour 20 : Dernière dose

Je n’ai plus de but. J’ai la dernière fiole de Sérum XIII dans la main. J’hésite. L’injecter, c’est brûler ce qu’il me reste d’humain. Mais ne pas le faire, c’est revenir à une vie de murs et de silences.

Je regarde le ciel. Il n’y a pas d’étoiles. Juste une teinte de cendres.

Je pique. Je ferme les yeux.

Et je disparais.


Post-scriptum :

On raconte aujourd’hui que Sérum XIII circule encore. On dit qu’un gang, les Vagues, se reforment dans l’Est. Ils ne parlent pas. Ils tuent en rythme. Et toujours avec le sourire.

Mais moi, je suis là, quelque part. Ou pas.

J’étais Kaël.

Et je voulais qu’on me voie brûler.

submitted by /u/SavingSuitw
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