Adrénochrome

Il y a quelques mois, j’étais encore flic dans une grande ville. Ce soir-là avait commencé comme tous les autres. Avec mon binôme, on faisait notre ronde dans un quartier un peu chaud. D’habitude, on tombait sur des bagarres, des dealers, parfois des prostituées. Mais ce soir-là, rien. Le vide.

On est entrés dans une rue qu’on connaissait par cœur, une rue qui débouche sur une petite ruelle. Mon collègue s’est arrêté, a laissé tourner le moteur, pendant que moi, comme d’habitude, je descendais pour jeter un coup d’œil avec ma lampe torche. Mais là… je sais pas. J’ai eu un mauvais pressentiment. Une sensation bizarre, comme si quelque chose me tirait dans la ruelle, sans raison.

J’ai fait quelques pas, et à peine arrivé au premier angle, j’ai levé la torche. Une flaque de sang. C’est tout ce que je voyais. La ruelle tournait légèrement, je ne pouvais pas voir plus loin. J’ai appelé mon collègue au talkie, j’ai allumé la dashcam de mon uniforme, et je l’ai attendu.

Il m’a rejoint. On a avancé lentement, la main posée sur nos armes. Plus on progressait, plus le sang était présent. Des traces, des coulées, des éclaboussures. L’odeur devenait insoutenable, et l’ambiance, terriblement pesante.

Et puis… je sais pas expliquer. C’était comme si mon corps savait. Comme s’il avait compris avant moi ce qu’on allait voir. Mon estomac s’est noué, mon souffle est devenu court. Et là, au détour du virage, on l’a vu.

Un homme. Accroupi. Dos à nous. Il serrait un petit corps contre lui. Un enfant. Les jambes dépassaient, inertes. Le pyjama, bleu et blanc, était trempé de sang. On distinguait à peine les motifs.

Je suis resté figé. Mon collègue a dégainé. Moi, j’arrivais même pas à lever mon arme.

L’homme a tourné lentement la tête vers nous. Ses yeux brillaient jaune dans la lumière de la torche. Sa bouche était maculée de sang. Et ses dents… j’étais pourtant sûr qu’elles étaient acérées.

Il ne disait rien. Il ne bougeait pas.

Mon collègue a crié. Ordonné de lâcher l’enfant et de lever les mains. Et il l’a fait. Doucement. Comme s’il s’en foutait.

L’enfant est tombé de ses bras. Ou plutôt… ce qu’il en restait.

La poitrine était ouverte. Les bras à moitié arrachés. Et la tête… mon Dieu. Il avait commencé à la manger. C’était pas un accident. Pas un pétage de plomb. Il l’avait dévoré.

Je me suis presque écroulé. Mon collègue, lui, a réagi. Il l’a plaqué au sol, lui a passé les menottes. L’homme n’a opposé aucune résistance. Rien. Même pas un soupir.

On lui a posé des questions. Il n’a rien dit. Juste ce regard. Fixe. Mort. Inhumain.

J’ai contacté la brigade. Deux collègues sont arrivés rapidement. Ils ont sécurisé la scène, attendant l’armada qui devait suivre, pendant qu’on embarquait le type dans notre fourgon. Il n’a pas bronché. Il marchait lentement, le regard vide. Mon collègue le tenait par son vieux manteau noir. Moi, j’ai ouvert la portière. Il est monté sans qu’on le pousse.

Pendant tout le trajet, il n’a pas détourné les yeux. Il fixait l’habitacle. Sans cligner. Sans bouger. Et puis, sans prévenir, il a parlé.

Un seul mot.

Adrénochrome.

On lui a demandé de répéter. Il n’a rien dit de plus.

Une fois arrivés au poste, mon collègue m’a demandé de l’emmener en cellule isolée. J’ai obéi. Je l’ai pris par le bras. Et là, je l’ai senti. Sa peau était froide. Et lisse… Trop lisse. Comme cireuse. On aurait dit qu’il portait un masque de chair.

Il est entré dans la cellule. Il s’est assis et m’a regardé, avec ce même regard étrange.

Je l’ai enfermé. Verrouillé. J’avais besoin de souffler, je suis allé aux toilettes. En passant, j’ai entendu mon collègue pleurer. C’était pas un sanglot nerveux. C’était un vrai cri du cœur. Un truc qu’on oublie pas.

Je l’ai laissé seul.

Quelques minutes plus tard, un médecin est arrivé pour l’examiner. Il avait l’air tendu, mais pas surpris. Comme s’il savait. On a marché jusqu’à la cellule. J’ai sorti mes clés. Je les ai tournées dans la serrure.

Et là…

Plus rien.

La cellule était vide.

Pas de lutte. Pas de bruit. Pas de trace. Rien.

Le mec s’était volatilisé.

On a bouclé tout le poste. Fouillé chaque recoin. Regardé toutes les caméras. On le voit entrer dans sa cellule. On me voit refermer. Puis… j’arrive avec le médecin. Et là, plus rien. Pas besoin de préciser qu’il n’y a aucune fenêtre dans ces cellules.

C’était impossible.

On ne l’a jamais retrouvé.

Vers 8h du matin, mes supérieurs m’ont ordonné de rentrer me reposer. J’ai obéi, sans réfléchir. Sur le parking, j’ai ouvert la portière de ma voiture.

Et là, de l’autre côté de la rue… il était là.

Il me regardait.

Même posture. Même regard. Mais plus de sang sur le visage.

J’ai cligné des yeux.

Il avait disparu.

submitted by /u/chamelledemamau
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