La Dépendance

On était au cœur de l’été. Ce genre de journée parfaite où l’air est chaud mais pas lourd, où le ciel est d’un bleu insolent. Une journée à ne rien faire, sinon suivre nos habitudes. Et nous, notre habitude, c’était cette maison abandonnée. On l’appelait juste “la maison de 2000”.

Personne ne l’appelait comme ça dans la ville, mais tout le monde savait ce qu’elle représentait. En 2000, un incendie criminel l’avait réduite en cendres. Une famille entière y avait péri : père, mère, trois enfants. Aucune arrestation. Aucun mobile. Juste le silence, la suie, et une ruine qu’on aurait dû raser depuis longtemps.

Pourtant, Lyne et moi, on s’y rendait souvent. C’était notre spot, notre frisson contrôlé. On s’y amusait à se faire peur, comme deux idiotes inconscientes du passé. Et la vérité, c’est qu’on n’y avait jamais rien vu. Pas un bruit étrange, pas une ombre suspecte. Juste une vieille maison aux murs calcinés.

Mais ce soir-là… ce soir-là, on n’a plus jamais remis les pieds là-bas.

Il faisait encore jour quand on y est allées. L’ambiance était détendue, presque joyeuse. On rigolait en traversant les herbes hautes, on racontait des conneries, comme toujours.

La maison était là, figée dans le temps. Un fantôme de pierre et de bois noirci. Et juste à côté, la fameuse petite dépendance — un genre d’annexe qui n’avait jamais été terminée avant l’incendie. Un peu plus de trois mètres de haut, encore solide, le seul endroit où on pouvait vraiment s’asseoir et voir toute la propriété.

Schéma :

• 🌲 Au fond, une forêt épaisse qui ronge lentement les limites du terrain. • 🎾 À droite, un ancien terrain de tennis, recouvert de mousse et de lianes. • 🏡 À gauche, un petit quartier résidentiel encore habité, bien vivant. • 🔥 Et au centre, la maison brûlée, avec la dépendance juste à côté.

On a grimpé sur le toit de la dépendance, comme d’habitude. Lyne s’est assise côté quartier résidentiel, dos à la ville, les jambes ballantes dans le vide. Moi, je me suis posée de l’autre côté, tournant le dos à la forêt et au vieux terrain de tennis. Le soleil commençait à tomber, les ombres s’allongeaient.

Et là, j’ai eu une idée débile. Je me suis tournée et j’ai crié, d’un coup, un “BOUH” ridicule pour faire sursauter Lyne. Elle a hurlé un “PUTAIN TU M’AS FAIT PEUR”, clairement pas amusée. Elle déteste ça. Elle déteste être surprise. Moi je riais. “C’est rien Lyne, détends-toi.”

Mais alors que je me retournais pour lui dire ça, une ombre a traversé mon champ de vision. Pas une ombre portée. Non. Quelque chose a passé juste devant moi. Rapide. J’étais au bord du toit, à plus de trois mètres du sol. Personne ne pouvait passer là.

Mon cœur s’est figé.

J’ai tenté de me raisonner : c’était juste le contrecoup de la blague, une montée d’adrénaline, rien de plus.

Mais en regardant droit devant moi, là où il n’y avait que des arbres et des herbes… j’ai vu un arbre que je n’avais jamais vu avant.

Raide. Noir. Trop droit pour être un arbre naturel. En plissant les yeux, je me suis figée.

Ce n’était pas un arbre. C’était un buste. Un homme, nu, rigide, sans expression. Il faisait presque trois mètres de haut. Il ne bougeait pas, mais il me regardait droit dans les yeux.

J’attendais que Lyne me touche le bras, me dise d’arrêter la comédie. Je voulais que ce soit une blague, même pour moi.

Mais la paralysie a duré. Puis, d’un coup, j’ai réussi à parler. Les seuls mots qui sont sortis :

“Homme devant. Cours vite.”

Je l’ai tirée vers moi, violemment. Elle m’a regardée. Elle a vu mes yeux. Et elle a compris que je ne blaguais pas.

On a sauté du toit de la dépendance, sans réfléchir. On a couru. À travers les herbes hautes. Les branches nous fouettaient, les orties nous mordaient. Derrière moi, les herbes craquaient. Quelque chose nous suivait.

Je n’ai pas osé me retourner.

Je savais que si je regardais, je mourrais.

Alors j’ai couru. Plus vite que jamais. On a dévalé la pente, et une fois en bas, on s’est arrêtées. Essoufflées. Tremblantes. Le souffle court. Et là, du fond de la forêt, un cri a déchiré l’air.

Pas humain. Pas animal. Un mélange de rage, de douleur, de haine pure. Une voix entre homme et femme, déformée, comme étirée.

On n’a rien dit. On est rentrées chez nous. On ne s’est même pas regardées.

Nous en avons jamais reparler, jusqu’à ce que même je vous raconte cette histoire…

Tout ce que je peux ajouter, c’est que ce soir-là… On aurait eu 20/20 en cours de sport.

submitted by /u/111maola
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