Personne ne sait vraiment ce qui pousse un homme sain à s’enfoncer dans la folie. Certains diront que c’est un traumatisme, d’autres une lente érosion de la raison. Mais pour Louis, c’était quelque chose d’autre. Quelque chose qu’il n’arrivait même pas à nommer.
Il avait 32 ans. Un homme discret, comptable, rangé. Une routine propre, sans surprise. Il vivait seul depuis le suicide de sa sœur, Clara, six ans auparavant. Elle s’était pendue dans leur cave, à l’âge de 17 ans. Personne ne comprenait pourquoi. Mais Louis, lui, savait.
Il n’en parlait jamais.
II. LES VOIX
La première chose qui a changé, ce sont les rêves. Pas des cauchemars. Des choses plus subtiles. Une voix, féminine, murmurait son nom la nuit. Une voix jeune. Douce. Brisée. « Louis… tu m’as oubliée. »
Il se réveillait en sueur, le cœur battant. Puis les voix sont venues pendant la journée. Parfois dans l’ascenseur. Dans les bourdonnements du frigo. Puis dans le silence lui-même. Il essayait de se convaincre que c’était le stress, qu’il devenait fou. Mais la voix devenait plus précise. Plus familière. C’était Clara.
III. LA PORTE
Un soir, la voix lui dit : « Descends. »
Il descendit à la cave.
Tout était comme avant. Le même sol humide. La même odeur d’acier rouillé. Et cette vieille porte en bois, condamnée depuis des années. Celle que leur père leur interdisait d’ouvrir. Il pensait l’avoir oubliée. Mais elle était là, intacte. Et cette nuit-là, la serrure céda sans un bruit.
Derrière la porte : un couloir étroit, sombre, et des marches. Qui descendaient.
Et descendaient.
Et descendaient encore.
IV. LE SANCTUAIRE
Il ne sait pas combien de temps il a marché. Son téléphone n’avait plus de signal depuis longtemps. Le béton se faisait plus brut, les murs couverts de dessins. Des symboles tordus, comme gravés à la main par des ongles sanglants. Il entendait des pleurs. Parfois des rires. L’écho d’un autre monde.
Au bout, une pièce. Une seule. Éclairée par des bougies qui ne fondaient pas. Une table en pierre, des chaînes, et une vieille photo de sa sœur, fixée au mur, couverte de ce qui ressemblait à du sang séché.
Et sous la table : un miroir.
V. LA RÉFLEXION
Dans le miroir, il ne se voyait pas. Il voyait Clara. Vivante. Assise. Elle souriait. Un sourire tordu, malsain. Elle ne pleurait pas. Elle riait.
Elle lui dit : « Tu crois m’avoir oubliée. Mais c’est toi qui m’as tuée. »
Il cria, recula, mais ses pieds étaient figés. Le miroir vibrait. Elle se leva, dans le reflet, et s’approcha, face à lui. Et il comprit : ce n’était pas un reflet. C’était une fenêtre.
Et Clara était de l’autre côté.
Et elle voulait sortir.
VI. L’ÉCHANGE
Une main traversa la surface du verre. Et saisit la sienne.
La douleur fut atroce, physique, brûlante. Il sentit son esprit s’éparpiller. Des souvenirs, des voix, des images : une corde, un cri, la peur de Clara, la peur de Louis enfant, son rire alors qu’elle suffoquait, les cris étouffés dans l’obscurité.
Elle n’avait pas sauté. Il l’avait poussée. Parce qu’elle voulait parler. Parce qu’elle avait vu leur père faire… des choses.
Et Louis, lâche, avait voulu qu’elle se taise.
Pour toujours.
VII. LA PRISON
Quand il rouvrit les yeux, il était dans le miroir.
Et Clara, dehors.
Elle souriait toujours. Elle caressa la surface. Puis tourna les talons et partit. Emportant son corps. Son nom. Sa vie.
Louis hurla. Mais personne ne pouvait l’entendre.
Personne n’écoute les choses qui pleurent dans les murs.
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