CHAPITRE 1 : « XN—∆202 »
Tu veux du bizarre ? Commençons par la fin : le jour où ils ont retrouvé Léandre, 32 ans, assis dans une baignoire vide, recouverte de miroirs, le corps couvert de bandelettes, un œil arraché et remplacé par une capsule de gel d’oxycodone, l’autre fixé droit devant lui, grand ouvert, injecté de sang. Il avait gravé sur les murs avec ses ongles les mots :
« IL Y AVAIT UNE LOGIQUE. »
On rembobine. Léandre n’était pas un junkie. Pas au départ. Chercheur en neuropsychopharmacologie, il travaillait sur un projet militaire top secret visant à développer une molécule capable de cartographier et manipuler les émotions humaines en temps réel.
Projet : XN—∆202
Objectif : créer un médicament qui puisse forcer l’empathie chez les psychopathes. Ou supprimer la douleur émotionnelle chez les soldats. Ils l’appelaient : La Dentelle. Car elle modifiait les synapses comme un tisserand modifie un textile.
CHAPITRE 2 : « COUTURES »
Léandre a testé la molécule sur lui-même. Pas parce qu’on lui a demandé. Parce qu’il voulait savoir. Les émotions, disait-il, étaient des parasites déguisés en boussoles.
La première semaine, tout allait bien. Il se sentait lucide, clair, détaché. Puis il commença à entendre les émotions des autres.
Pas leurs mots. Leurs émotions.
Des gémissements d’enfants dans les sourires des mères. Des hurlements dans les poignées de main. Du vide pur dans les yeux amoureux. Une cacophonie.
Il appela ça : l’Empathie Réelle. Et dit qu’aucun être humain n’était fait pour supporter ça.
CHAPITRE 3 : « LES MIROIRS »
Léandre commença à voir des versions de lui-même dans les reflets, qui bougeaient légèrement différemment. Certaines l’observaient. D’autres pleuraient. Une restait figée, la bouche grande ouverte.
Il disait : « Chaque miroir est un point de fuite dans la psyché. Je me vois dans les angles morts de mon cerveau. »
Il recouvrit son appartement de miroirs. Il dormait au centre, sous un faisceau de LED. Il disait que c’était la seule manière d’empêcher ses doubles d’entrer.
Il n’y avait aucune trace de schizophrénie dans ses bilans. Juste un cerveau saturé d’empathie.
CHAPITRE 4 : « LE CORPS-AUTRE »
Un jour, il se réveilla et réalisa qu’il n’était plus seul dans son corps.
Il disait : « Il y a une version de moi, très ancienne, qui n’a jamais été humaine. Elle attendait que j’ouvre la porte. »
La molécule avait permis à quelque chose d’autre d’émerger.
Il se lacérait les bras en disant : « Je veux la faire sortir, mais elle pousse depuis l’intérieur. »
Il parlait de ses émotions comme d’êtres indépendants. La Culpabilité était une femme sans peau. Le Doute, un enfant sans yeux. L’Amour, un chien à trois têtes qui mordait quand on le regardait.
Il ne dormait plus. Il mangeait des papiers, des morceaux de plastique. Il pensait que cela empêchait ses pensées d’être lues.
CHAPITRE 5 : « L’ANNULATION »
Léandre s’est filmé pendant 57 jours. Chaque jour, une injection. Une transformation.
Jour 12 : il regarde la caméra et dit :
« Je crois que je suis en train de créer un nouveau langage. Ce que vous appelez folie, c’est peut-être juste une syntaxe plus large. »
Jour 28 : il dit qu’il a retrouvé Dieu. C’était une tumeur dans son cortex préfrontal.
Jour 41 : il dit qu’il entend les souvenirs des autres dans sa propre mémoire.
Jour 52 : il sourit et dit : « Je crois que je suis prêt à sortir. »
Puis, plus rien.
Jusqu’à ce qu’on le retrouve dans cette baignoire, avec les miroirs.
CHAPITRE 6 : « L’EFFET MIROIR »
Les agents chargés d’analyser les vidéos de Léandre ont tous été retirés du dossier.
Certains se sont suicidés. D’autres sont devenus muets. L’un d’eux parle en boucle d’un concept mathématique qui n’existe pas.
La molécule XN—∆202 a été classée comme substance à effet cognitif fractal. Elle ne crée pas des hallucinations. Elle divise la conscience en couches superposées qui interagissent entre elles.
C’est comme si vous deveniez un immeuble de vous-même. Chaque étage, une version. Et parfois… l’ascenseur monte tout seul.
CHAPITRE 7 : « DERNIÈRE VIDÉO »
Dans la dernière vidéo de Léandre, on voit quelque chose d’impossible : un plan filmé de lui-même endormi, vu de l’intérieur de l’œil qu’il s’est arraché.
La vidéo est intitulée : “VOUS ÊTES ENCORE LÀ.”
Et la description ne contient qu’un mot :
« RECOMMENCER. »
Fin.
submitted by /u/SavingSuitw
[link] [comments]